Classez-moi dans la variet

Publié le 11 Février 2008

On oppose assez régulièrement le rap français à la chanson. Le premier serait agressif, engagé, simpliste et l'autre gentillet, ringard ou subtile (rayez les mentions inutiles). Pourtant le rap français s'inscrit dans la continuité de la chanson française. Si ll'influence américaine est bien sûr déterminante, la spécificité du rap français vient certainement de son incorporation de l'héritage de la chanson. Ce n'est peut être pas pour rien que Doc Gyneco chantait Classez moi dans la Variet'.
 
Au niveau des thématiques, la filiation est assez flagrante. On retrouve bien sûr les chansons mélos (à la Edith Piaf), les chansons festives ou légères (style Claude François ou yéyé), les chansons tranches de vies ou chroniques sociales, (à la chanson réaliste d'avant-guerre comme Frehel)  et bien sûr les chansons en colère. Le rap dit "conscient" renoue avec les thèmes classiques de la chanson française. On peut remonter à l'ancestrale chanson de Cayenne et son refrain (Mort aux vaches, morts aux condés/Vives les enfants de Cayenne, A bas ceux de la Sûreté). L'âge d'or de la chanson française regorge de nombreux titres sur ce thème: Hécatombe ou le Gorille de Georges Brassens, Les anarchistes ou Ni Dieu ni maitre de Léo Ferré, Le déserteur de Boris Vian et dans la veine humouristique Les bourgeois de Jacques Brel. Les morceaux les plus significatifs étant peut être le Gorille à propos du viol d'un juge par un gorille, et L''Hécatombe qui met en scène un joyeux massacre de flics par des mégères: "En voyant ces braves pandores / Etre à deux doigts de succomber /Moi, j'bichais car je les adore /Sous la forme de macchabées".
 
La vulgarité reprochée au rap était également depuis longtemps présente dans la chanson. Pour se limiter à Brassens et sans mentionner les chansons paillardes car ça serait trop facile, c'est bien dans ses paroles qu'on retouve les mots con, baise, enculer, salope, putain, cul etc. On peut aussi noter la passion des jeux de mots et effets de styles de Bobby Lapointe (jusqu'à l'overdose) qu'on retrouve chez beaucoup de rappeurs. Même le casier judiciaire qu'on ressort pour épingler les rappeurs  est un classique chez les chansonniers avec Brassens par exemple condamné à de la prison avec sursis pour cambriolage (mais la tradition remonte à Villon au XVème siècle!). B
 
 
Plus récemment, un des précurseurs du rap est certainement Serge Gainsbourg. Ses provocations savamment orchestrée bien sûr, mais surtout ses recherches musicales: le chant saccadé sur des percussions épurées sur Requiem pour un con ou la présence d'un refrain rappé sur You're under arrest  (1987).
Renaud a aussi influencé le rap français avec un chant plus proche de la parole, un recours systématique à l'argot (Hexagone) et ses nombreuses chansons "tranches de vies" (Dans mon HLM, mon beauf...).
 
L'influence de la chanson sur le rap se retrouve enfin par le biais du sample. Si les samples de chanson française restent l'exception, ils sont assez nombreux. Jacques Brel a été repris par ATK, Busta Flex et Puzzle;  Brassens par la Cliqua; Les étrangers de Ferré a été repris par Première classe; Gainsbourg par MC Solaar et IAM; Mistral Gagnant de Renaud par Booba (2 fois!), Edith Piaf par ATK. Celui qui détient le record est certainement Charles Aznavour, samplé par Marco Polo, Ideal J, la Fonky Family, Passi et K'Reen et l'énumération pourrait encore continuer.
Mais le sample le plus notable est certainement celui de Cut Killer qui mixe sur la BO de la Haine, KRS One, Assassin, NTM et Edith Piaf . Il ne sample pas seulement un petit bout d'instru mais intègre la voix et les paroles de Piaf dans le sens de la chanson en superposant de manière assez magistrale "Assasin de la police" et "je ne regrette rien"!

Une petite playlist où le titre samplé précède le sampleur.
 

 

Les collaborations entre artistes rap et de chanson restent rares. Un essai plutôt réussi est la version de Ma France à Moi de Diam's accompagné par Tiersen. Je ne suis ni fan de Diam's ni de Tiersen mais ce live est d'une efficacité redoutable. Evidemment, certains s'évertuent à prendre le pire de chaque genre (beurk). Plus récemment, Oxmo Puccino a collaboré avec Olivia Ruiz.
 
Niveau reprise, c'est souvent casse gueule car le style des paroles est indissociable de la manière de chanter. Un album entier assez décevant est dédié à des reprises de Renaud (Hexagone 2001... rien n'a changé). Yannik a fait une reprise gentilette de Claude François Ces soirées là (mais proche de l'esprit de l'original finalement).  Meskal a repris L'alcool de Gainsbourg, et les Frères Lumière ont repris sans coller au texte Né quelque part de Maxime Le Forestier. On peut noter la reprise complètement ratée du Gorille de Brassens par Joey Starr Inversemment, La pompe moderne a fait une reprise plutôt rigolote de Je danse le MIA d'IAM à la manière de Brassens.
 
Et pour finir, une citation d'Oxmo Puccino qui me semble appropriée:
 
Oxmo Puccino: lorsqu'on a des artistes français ou francophones qui s'expriment sur de la musique avec un auditoire français et vendent des disques de musique pendant vingt ans en atteignant des millions en chiffre de ventes, comment peut-on appeler ça... si c'est pas de la chanson française ? Je pense que ça parle de soi-même, donc pour moi se poser la question est une marque d'incompréhension, clairement. Le rap aujourd'hui est rattaché à une certaine image qui n'existait pas à l'époque où nous écoutions des artistes comme Boby Lapointe, Brel, bref, tout ces grands pontes de la chanson française qui avaient chacun un débit particulier n'ayant rien à voir avec leurs collègues de l'époque, et qui encore aujourd'hui est d'actualité - non seulement au niveau textuel mais au niveau technique. Ce n'est pas pour dire que c'étaient des rappeurs mais pour dire qu'aujourd'hui les rappeurs sont des chanteurs français, comme les autres, ce n'est même plus à prouver, a + b = c.

Rédigé par Boeb'is

Publié dans #France, #rap

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B
Je l'ai aussi que parcouru mais c'est clair ça fait plaisir de voir des travaux sérieux sur ce genre de sujets. Je connais pas la reprise de FFF. Je passerais sur ton blog pour voir ça.
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S
Et oui la curiosité est bien le meilleur défaut pour un artiste.Super intéressant le mémoire; parcouru pas encore lu intégralement ;)Sinon une des reprises les plus intéressantes du Requiem pour un con avait été faites par FFF. Il y en a une autre parue chez Tzadik par Franz Treichler (the Young Gods)..Mais tu me donnes une idée de billet!!!
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