C'est quoi au juste la fusion? la réponse d'Amit Chaudhuri
Publié le 13 Avril 2008
C'est ce que se demande Amit Chaudhuri dans un passionnant article du New Statesman. Lui même marie les
musiques indiennes et occidentales avec son groupe This is Not Fusion, qui comme son nom l'indique cherche à dépasser l'approche superficielle et stérile de ce qu'on entend
habituellement par fusion. L'article a été publié en français dans un Courrier international de janvier 2008 mais il n'est pas disponible gratuitement en ligne.
Pour ceux qui ont la flemme de lire l'article en anglais, je vous propose quelques (longs) extraits en français (traduction de Courrier international).
« C'est quoi la fusion? C'est un mot que l'on utilise, notamment dans le domaine de la musique, et dans le contexte de la musique indo-occidentale actuelle, comme
s'il renvoyait à une activité bien déterminée et pouvait se dispenser de toute explication. » [...]
«Une idée très répandue veut que la "fusion" passe par une entorse, scandaleuse ou libératrice, aux traditions musicales canoniques. Or nous savons que ces
traditions - que ce soit la musique classique indienne, le jazz, la musique de films, le rock ou encore les chansons de Rabindranath Tagore - sont nées en tant que formes hybrides, que leurs
périodes les plus fécondes ont été celles d'assimilation et que leurs passages à vide sont ceux où leurs représentants ont adhéré à une version héritée de cette musique. »
«Les traditions canoniques se protègent de l'arbitraire de la fusion tout en s'en nourrissant. Lorsque nous écoutons une chanson composée par O. P. Nayyar, le grand
directeur musical du cinéma hindi des années 1950, nous ne l'écoutons pas comme s'il s'agissait d'une forme dans laquelle auraient convergé des sons et des registres culturels distincts, mais
comme une variante d'une genre que nous reconnaissons comme étant "la musique de films hindis". Ce qui ne nous empêche pas d'être émerveillés par la juxtaposition dans un seul et même morceau de
la contrebasse et du sarangi, un instrument à cordes utilisé dans l'accompagnement des chants classiques»
«De même, quand nous écoutons ces virtuoses pakistanais que sont Nazakat et Salamat Ali Khan, nous savons que nous écoutons un khayal et non la fusion inattendue du
dhrupad avec des éléments de qawwali d'inspiration soufie. Pourtant, si l'on suit attentivement, on remarquera que ces registres bien distincts altèrent leur interprétation. C'est cette tension
au sein des traditions canoniques qui produit l'émoi, le plaisir, les traitements et compositions véritablement novateurs.»
«Il me semble que l'on trouve rarement cette tension interne dans la musique "fusion". [...] Il n'y a pas la moindre querelle au sein de la fusion, et donc pas
d'innovation non plus: la fusion que l'on entend en Inde aujourd'hui n'est guère différente des sons que produisait le groupe Shakti il y a trente ans » L'une des raisons en est que, dans la
fusion, les éléments orientaux et occidentaux ont des rôles statiques et prédéfinis [...]. Dans la fusion Orient-Occident telle que la nous connaissons ici, par exemple, le représentant indien
est généralement un musicien classique porteur d'une tradition séculaire et le représentant occidental souvent un musicien de jazz, un type de moderne bien connu, le romantique las qui en assez
de la modernité et doit se renouveler au contact de cultures immémoriales.»
«Si l'on écoute des chansons de film hindis ou des jingles publicitaires, on réalise que la musique "indienne" n'est pas seulement immémoriale: elle inclut les
traditions classiques (qui sont d'ailleurs d'invention assez récentes), des formes régionales et folkloriques, du swing, du blues, de la techno et même, de façon autoréférentielle, ces chansons
de films et ces jingles eux même». [...]
«L'un des aspects les plus problématiques de la fusion est qu'elle transcende, émerveillée, non seulement la nationalité mais aussi l'environnement local. Alors
que le jazz est issu d'un milieu urbain, et la musique classique indienne des familles et de la région, la fusion, elle, ne semble n'avoir pas de réalité physique.» [...]
«Les genres, les compositions, même le concept malaisé de "classique" ne peuvent se comprendre qu'à la lumière de l'histoire et de ses dissonances. La "fusion",
quant à elle, se situe sur un plan universaliste (et aujourd'hui mondialisé) où deux dissemblables s'épousent constamment et ùm le conflit n'est pas ouvertement tolérable.»
«Si la fusion conserve un potentiel, c'est parce qu'elle est en quête non seulement de contacts interculturels mais aussi d'un style qui convienne aux espaces
que nous habitons. Surtout, contrairement aux formes canoniques, elle a la faculté de nous rappeler en permanence, avec une dose de malice, que la musique "orientale" et "occidentale" sont
des choses qui existent et n'existent pas en même temps» [...]
«Ce que je cherche depuis longtemps, c'et un son qui soit fidèle à ce milieu urbain hybride, qui aurait pu naître dans l'un de ses quartiers et y être joué, et non
pas un geste appuyé et répété de fusion musicale ». [...]
Plus: myspace d'Amit Chaudhuri - page officiel de This
is not fusion - deux billets sur le problème du concept de " musique du monde"; la musique du monde existe (je l'ai
rencontré) et la musique du monde n'existe pas